L'accueil des publics lgbtiq+ dans les bibliothèques – un entretien avec Céline Cerny

Céline Cerny est la responsable du Laboratoire des bibliothèques de Bibliomedia Lausanne. Médiation Culturelle Suisse l’a interviewée sur la mission du Laboratoire et sur le travail qui s’y fait autour de la thématique de cette année « l’accueil des publics lgbtiq+ dans les bibliothèques ».

Céline, tout d’abord merci d’avoir accepté de faire cet interview. Pour entrer en matière : que fait le Laboratoire des bibliothèques de Bibliomedia?

Le Laboratoire des bibliothèques est un service de médiation culturelle au sein de Bibliomedia Lausanne, il existe depuis 2015. Sa mission est de soutenir les bibliothèques à travers la Suisse romande dans leur travail de médiation culturelle et d’accueil des publics.
Depuis 2018 Le Laboratoire des bibliothèques s’engage en particulier pour l’inclusion dans les bibliothèques publiques.

Pourquoi le nom « Laboratoire » ?

Parce que, au-delà des formations pour les professionnel.le.s, des échanges de pratiques, des ateliers événements pour différents publics et autres, notre mission est de proposer des projets innovants. Nous souhaitons donner de nouvelles impulsions dans le domaine des bibliothèques, faciliter et accélérer le changement – actuellement au niveau de l’inclusion.

Comme nous ne sommes pas une bibliothèque publique, nous faisons des projets pilotes ponctuels en collaboration avec des bibliothèques et d’autres partenaires socio-culturels, où nous expérimentons des nouvelles actions culturelles hors-murs ou dans nos propres locaux. Le contact avec le terrain est très important pour nous, il nous permet d’être près de la réalité et pousse notre réflexion plus loin. Ça nous permet de mieux conseiller les bibliothèques et de développer des outils et ressources pour les accompagner dans leur développement.

Cette année la thématique du Laboratoire des bibliothèques est l’inclusion des publics lgbtiq+ dans les bibliothèques et le management inclusif. Comment avez-vous choisi cette thématique ?

Notre équipe était déjà sensibilisée et avait lu différents articles en lien avec le sujet. Moi-même, j’ai fait une formation à Genève sur l’inclusion des personnes lgbtiq+ dans le cadre professionnel.
Ce sont finalement les échanges avec Samia Swali, responsable de la Bibliothèque Filigrane à Lausanne, qui écrivait son travail de master sur l’accueil des publics lgbtiq+ dans les bibliothèques de Suisse romande qui nous a convaincu de l’importance de cette thématique, et surtout qu’elle entrait en résonance de manière plus large avec le sujet de l’inclusion et touchait à tous les aspects de la bibliothèque.

Peux-tu élaborer ?

L’étude de Samia Swali avec des personnes concernées et des professionnel.le.s montre que pour beaucoup de personnes lgbtiq+ les bibliothèques ne sont pas perçues comme des lieux bienveillants, des lieux où l’on peut trouver des ressources sur les thématiques lgbtiq+ et où l’on se sent en sécurité. Des aspects comme des formulaires discriminatoires ou un personnel non formé à l’accueil des personnes lgbtiq+, des ouvrages traitant de l’homosexualité classés sous la cote renvoyant au thème „morale sexuelle“. Il a été relevé aussi que certaines collections ne présentaient que des livres qui montrent l’homosexualité ou la transidentité comme conduisant forcément à un destin tragique. Une vision erronée et globalement négative. Ce qui fait que les personnes concernées ne viennent pas ou plus à la bibliothèque.

Lorsqu’on travaille sur l’inclusion et l’accueil des publics, on se doit de constater que si certaines personnes ne fréquentent pas les bibliothèques, ce n’est pas qu’elles n’existent pas ou ne sont pas intéressées, mais sans doute parce qu’elles ne se sentent pas accueillies, que les barrières qu’elles rencontrent sont trop nombreuses. La question à poser est donc: « Pourquoi certaines personnes ne viennent pas à la bibliothèque? Quels sont les obstacles qu’il faut lever ? »

Le travail autour de cette thématique a demandé beaucoup de connaissances spécifiques et d’expertise. Où les avez-vous trouvées ?

Nous avons choisi de collaborer avec deux bibliothèques. Tout d’abord la Bibliothèque Filigrane, dont Samia Swali est la responsable. Nous avons d’ailleurs repris les quatre axes de son travail pour structurer notre programme : les collections, l’accueil, la médiation culturelle et la gouvernance.
Nous avons aussi proposé à Mylène Badoux, médiatrice culturelle de la Bibliothèque de Vevey de participer à notre programme avec le groupe de travail de personnes concernées qu’elle a créé dans l’optique de travailler elle aussi à l’accueil des publics lgbtiq+. On peut d’ailleurs découvrir leur excellent travail sur le site de la Bibliothèque de Vevey.
Enfin, étant moi-même une personne concernée, j’ai bien entendu utilisé mes propres expériences.

Notre objectif était de toucher tous les aspects de la bibliothèque et de proposer aux bibliothèques de devenir des alliées. 

Qu’entends-tu par « devenir des alliées » ?

J’entends par là : devenir des bibliothèques qui montrent leur engagement pour l’accueil des personnes lgbtiq+ d’une manière explicite.
On a tendance à penser que les bibliothèques sont des lieux neutres, alors qu’en réalité, cette neutralité n'existe pas. Les bibliothèques, comme tous les lieux culturels, sont traversées par des rapports de pouvoir et sont influencées par la société. Elles font partie d’un système et reproduisent en fait les mêmes violences du système, les mêmes discriminations.

Bien entendu, il y a d’ores et déjà plein de bibliothèques qui font des choses extraordinaires pour l’inclusion.

Peux-tu me nommer quelques prestations que vous avez mis sur pied pour les bibliothèques au cours de l’année ?

Par exemple, nous avons organisé l’action culturelle « l’après-midi arc-en-ciel » avec Tralala lita, drag Queen et conteuse. Un évènement qui s’adressait à toutes les familles et à toutes et tous pour fêter ensemble la diversité.

Il existe une boîte à outils en ligne pour l’accueil des personnes lgbtiq+ en bibliothèque avec, entre autres, une bibliographie arc-en-ciel, des fiches pratiques, des collections fils-rouges pour enfants et adultes, des lectures suivies, et des sélections thématiques en ligne, ou encore une mallette pédagogique Familles arc-en-ciel pour les écoles, les garderies, l’accueil parascolaire et les bibliothèques scolaires, fruit d’un partenariat avec l’association Familles arc-en-ciel suisse.

Les fiches pratiques sont des outils clé en main qui touchent à tous les aspects de la bibliothèque : collections, catalogage, accueil au prêt, médiation culturelle, formulaires externes ou règlement du personnel. On peut utiliser une fiche ou plusieurs, les prendre comme point de départ à la réflexion.

Nous proposons aussi des webinaires et conférences sur notre chaîne YouTube. On y trouve également des enregistrements de la troisième journée de médiation culturelle sur la thématique de cette année.

Vos propositions d’offres et d’action sont très riches ! Quels ont été pour toi les moments forts de cette programmation jusqu’à présent ?

Au cours de l’année, nous avons vu changer le public qui assiste à nos formations et journées professionnelles. Des professionnel.le.s de bibliothèques de longue date que nous connaissions de nom mais que nous n’avions jamais rencontré.e.s personnellement sont venues à la journée de la médiation culturelle par exemple. C’est très enrichissant de constater que, suivant les thématiques, les bibliothécaires qui nous suivent changent, mais c’est aussi un constat difficile : peut-être que ces personnes ne s’étaient pas senties les bienvenues auparavant.
Ou, le retour d’une personne qui, en découvrant le programme de notre après-midi arc-en-ciel, nous a dit par téléphone qu’il aurait tant eu besoin de ce genre d’événement quand il était enfant.

Ce sont ces moments-là qui nous font réaliser l’importance de ce travail et qui nous encouragent.

Céline, merci beaucoup de nous avoir donné un aperçu de votre travail au Laboratoire des bibliothèques. Nous vous souhaitons une belle continuation sur cette thématique si importante et nous nous réjouissons de suivre vos actions au futur !

Interview : Geneviève Hertzog

Après-midi arc-en-ciel à Bibliomedia Lausanne, Photo © Thara Scippa