Lorsque des fillettes se mettent à danser des tableaux
Pour moi, une médiation culturelle de qualité est celle qui me permet d’avancer. Vers quelque chose de nouveau et vers moi-même. Dans l’idéal, ce devrait être le cas pour toutes les parties-prenantes d’une action de médiation, de moi comme membre du public, de moi comme médiateur ou de moi comme mandant. Mais seule une pratique de la médiation culturelle ancrée dans une stratégie de politique culturelle permet d’aboutir à cet effet total. Il n’est alors plus seulement question de ceux à qui elle s’adresse et qui veulent être satisfaits, plus seulement question des institutions désireuses d’augmenter la fréquentation du public, plus seulement question des politiciens qui doivent plaire à la majorité. Une pratique de la médiation culturelle ancrée dans une stratégie de politique culturelle se comprend plutôt comme un système de réciprocité qui produit des impulsions décisives pour le développement continu de l’encouragement étatique à la culture et de la conservation de cette culture. La médiation culturelle devient alors le noyau d’une politique culturelle participative. Elle a pour objectif de permettre au plus grand nombre de personnes de se confronter aux questions de culture, de participer aux processus culturels et d’accéder aux œuvres artistiques. Ce qui ne peut avoir d’effet durable que si sa qualité reste en permanence élevée. Car le succès n’est pas inversement proportionnel à la qualité. Ceux qui prétendent le contraire s’accrochent à une notion de l’art élitiste, fixée sur la distinction plutôt que sur la cohésion. Dans le cadre d’une action de médiation à l’Aargauer Kunsthaus, une jeune participante de 9 ans a exprimé cette expérience par le non-verbal, à la fin d’une action intitulée «Kunstpirsch», durant laquelle les enfants étaient invités à parler d’un tableau qu’ils avaient particulièrement aimé. L’élève – elle s’appelait Albana – dit à la médiatrice: «Tu sais, moi, je ne sais pas parler d’un tableau, mais je peux le danser». Elle se mit alors devant le tableau, au centre du demi-cercle formé par la classe et traduisit ses impressions par le mouvement. Ses collègues saluèrent ce spectacle inattendu par des applaudissements spontanés. Ainsi, une fillette qui, selon nos critères, ne possédait pas de conception de l’art au sens traditionnel du terme, et ne maîtrisait que peu notre langue, s’est approprié la signification et la portée de l’œuvre, l’a transmise aux autres et a partagé avec eux sa perception. Cet épisode illustre parfaitement l’effet de la médiation culturelle. L’œuvre avait la force de faire sauter les conventions habituelles d’observation et de communication, la participante au programme de médiation était prête à prendre des risques, et la médiatrice artistique avait créé un cadre qui avait rendu possible cette interaction. Dans une telle situation, tous les participants renforcent à la fois leur identité en tant que groupe et élargissent leur horizon en tant qu’individus. C’est en cela que réside la qualité.Hans Ulrich Glarner est le responsable de la culture du canton d’Argovie.
La médiation artistique comme rencontre approfondie avec l’art
Du point de vue d’une institution artistique, la médiation produit divers effets sur le triangle «organisation/public/médiateurs_trices». La médiation artistique permet d’approfondir la rencontre avec l’art car elle dévoile certains rapports cachés. Cette rencontre qui exige plus de temps et d’engagement qu’une visite d’exposition (anonyme), fait apparaître les perceptions les plus diverses, marquées par la situation culturelle, l’âge, le sexe ou l’éducation. Grâce à la possibilité ainsi offerte aux divers publics-cibles de s’exprimer sur une exposition, l’organisation recueille des réactions sur la façon dont l’exposition a été perçue. La médiation culturelle ouvre les yeux de l’organisation sur des points de vue, des réactions et des visions du monde différents, ce qui lui permet d’en apprendre davantage sur son public, mais aussi sur l’effet de l’art exposé et sur la manière de le présenter. Cela peut la conduire à réfléchir davantage aux besoins des visiteurs, à les différencier et à considérer chaque personne individuellement plutôt que comme un élément d’une masse anonyme. La médiation artistique est la meilleure forme de marketing. Comparée aux formes de communication et de publicité ordinaires, incapables d’abaisser le seuil d’inhibition de nombreuses personnes, elle encourage concrètement les participants_tes à continuer à visiter l’organisation et à y amener d’autres personnes. Le concept du médiateur ou de la médiatrice comme hôte, impliquant que les enfants et les jeunes invitent leurs parents et leurs amis, élargit le cercle des visiteurs_euses. Ce qui démontre qu’une approche personnelle de l’art est plus importante que la «compréhension» de l’art. Si l’on considère les expositions comme des espaces de véritable communication, la médiation artistique revêt une fonction de chef d’orchestre qui inaugure et encourage le dialogue entre l’exposition et le public. Plutôt que de cimenter un pur savoir conventionnel ou une notion traditionnelle de l’art, la médiation artistique offre de nouveaux modes de réception de l’art, ou de son intégration à sa propre vie. Lorsque les spectateurs_trices sont réellement impliqués et traités comme des partenaires, des personnes agissantes ou des complices, la médiation artistique a pour effet de favoriser une réflexion sur l’art qui admet de multiples observations et interprétations. La participation active à la médiation de l’art développe une multitude de compétences qui sont importantes pour la vie des enfants et des adultes: regarder et réagir aux objets visuels, analyser et transmettre des contenus, présenter ses propres opinions, écouter et discuter, respecter l’attitude des autres.Felicity Lunn a été curatrice de la Whitechapel Art Gallery de Londres de 1990 à 1998, directrice du Kunstverein de Fribourg en Brisgau de 2005 à 2008 et Regional Curator de la UBS Art Collection de 2009 à 2011. Depuis janvier 2012, Felicity Lunn dirige le musée CentrePasquArt de Bienne.
Pour en savoir plus sur les risques et les effets secondaires, consultez votre médiateur
La médiation dans des → projets participatifs qui se déroulent sur plusieurs mois n’a rien d’un remède miracle; il s’agit au contraire d’un processus qui transforme tous ses participants. Les programmateurs et le monde politique ont souvent tendance à recourir à la médiation comme à une mesure d’urgence (dont ils espèrent un effet durable) et exigent d’elle qu’elle confirme son efficacité en dénombrant les personnes qu’elle a touchées: nombre des «convertis» par manifestation et par franc. Plus il y a de gens impliqués, mieux c’est. La médiation est ici assimilée à de l’audience development. Or, loin de se focaliser sur la «masse», le médiateur se focalise sur la «classe». Il est certes difficile de quantifier une telle qualité. Néanmoins, les médiateurs, artistes, intendants et politiciens de la culture ont besoin d’arguments pour justifier la médiation et l’encourager. Car une médiation de qualité a un prix. Dans les formats artistiques traditionnels, l’on observe une séparation claire entre les artistes et le public. Les artistes-interprètes perçoivent certes la réaction du public, mais ils ne nouent que rarement des contacts approfondis avec les spectateurs. Dans les projets participatifs d’education à long terme, les artistes sont fondamentalement remis en question dans leurs actes et leurs gestes. Ils donnent des impulsions, incitent à une activité créative, accueillent les idées des participants, traversent avec eux les crises et, dans les discussions qu’ils ont avec les amateurs, ils font l’expérience d’un nouvel aspect de leur travail artistique, à savoir son aspect social et politique. Dans les projets participatifs, un tel processus ouvert a tout autant d’importance que le produit. Quiconque y est impliqué en ressent quasi physiquement les effets et éprouve ainsi les défis et la pertinence d’une activité de médiation. Le risque inhérent à ces processus, qui sont ouverts et difficilement planifiables ou prévisibles, est qu’ils peuvent échouer. Et ils ont des effets secondaires. Ils peuvent en effet conduire à des changements profonds chez les artistes et au sein des institutions. La collaboration entre amateurs et professionnels sera par exemple intensifiée dans les projets de médiation ultérieurs. Ou, sur demande expresse des artistes, la médiation sera intégrée à la planification de la saison, et une idée venue de la médiation pourra servir de base à une production de l’institution – ce qui correspond à un véritable changement de paradigme! À la condition, bien sûr, que la hiérarchie s’engage pour la médiation et qu’un projet de médiation soit reconnu tant par le public que par les décideurs. L’objectif des projets d’education n’est pas de transmettre du savoir, mais de réunir amateurs et professionnels autour d’une production artistique commune. La pratique artistique renforce le développement de la personnalité et – particulièrement dans les projets de danse – l’estime de soi. Après un processus de répétition intensif, les participants se déplacent naturellement entre la garde-robe, la cantine, les coulisses et la scène des théâtres et des salles de concert – une attitude qui témoigne d’une vraie conquête des mondes intérieurs et extérieurs.Irena Müller-Brozovic a fait des études de piano, de musique en milieu scolaire et de médiation musicale/pédagogie des concerts à Bâle et Detmold. Elle dirige la «Education Projekte Region Basel» pour la division Culture de la ville de Bâle. En 2007, elle a reçu le prix «Jeunes oreilles». Elle travaille, entre autres, pour le Orchestres symphonique de Bâle et le Theater Basel, et elle enseigne la médiation musicale à la Haute école des arts de Berne.
Pourquoi la Confédération soutient-elle la médiation culturelle?
La section Culture et société traite des questions d’éducation culturelle et de participation à la vie culturelle, notamment dans les domaines de la promotion des langues et de la lecture, de la formation musicale ainsi que de la culture amateur et populaire.