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Lexique

Accessibilité

Le terme d’«accessibilité» est surtout utilisé en rapport avec la liberté de mouvement des personnes handicapées. Il sous-entend que les biens ou les espaces publics doivent être rendus accessibles à tout le monde, par l’abolition des barrières réelles ou symboliques et en compensant ainsi le handicap. L’accessibilité présuppose que l’on analyse les multiples limitations et exclusions qui existent dans les espaces sociaux, une analyse encore trop rarement et trop insuffisamment effectuée. Comme le montrent de nombreuses études, d’importantes barrières réelles et symboliques ferment par exemple l’accès aux espaces muséaux, barrières qui ont une importance capitale dans l’un des domaines justement censés lutter contre elles – comme Pierre Bourdieu l’a démontré dans ses travaux.

«L’amour de l’art»

«L’amour de l’art» est le titre ironique d’une étude publiée en 1966 par Pierre Bourdieu et Alain Dardel sur «les musées d’art européens et leur public»: elle vise non seulement à déconstruire l’idée d’un «amour de l’art» inné à la nature humaine, mais aussi à révéler la véritable fonction de l’art –souvent occultée – qui est de stabiliser et de légitimer les disparités sociales (Aigner 2008).

L’étude se base sur une vaste enquête sociale effectuée auprès de divers musées européens: elle a, entre autres, conclu qu’il faudrait attendre 46 ans pour voir se réaliser la probabilité mathématique que quelqu’un qui n’a suivi que l’école obligatoire entre dans un musée. Traduit en allemand pour la première fois en 2006, ce livre démasque l’amour de l’art comme un «besoin culturel» engendré par l’éducation et comme une idéologie bourgeoise qui utilise un code que seuls sont habilités à décrypter ceux qui disposent des bons moyens et du bon capital culturel (voir lexique: Types de capital).

Animation socioculturelle

L’animation socioculturelle est une discipline et une pratique du travail social qui se réfère à de nombreuses théories et traditions de la pédagogie critique, et surtout à une pédagogie des loisirs engagée destinée aux enfants et aux jeunes (l’expression a été forgée dans les années 1950 en France et précisée par les mouvements sociaux des années 1970 et 1980.)

Adoptant une démarche fondamentalement participative, l’animation socioculturelle essaie d’«animer» ou d’engager les personnes à transformer leurs marges de manœuvre individuelles et leurs conditions sociales dans leur propre contexte, en intervenant dans le champ social par l’action culturelle.

Autonomie relative

Le sociologue Pierre Bourdieu attribue au champ (voir lexique) de l’art une autonomie relative par rapport aux champs de l’économie et de la politique, des champs dont le champ culturel inverse carrément la logique: plus le bénéfice économique est mince, plus le capital symbolique sera important. En théorie esthétique également, l’auto­nomie de l’art constitue l’hypothèse de départ décisive, à partir de laquelle est pensé son potentiel critique envers la société et l’ordre établi. Etant donné la façon dont l’art est récupéré et utilisé, son autonomie relative donne lieu à diverses interprétations. Selon le point de vue politique et théorique représenté, l’autonomie de l’art peut en effet être décrite comme donnée, perdue ou à regagner.

Autoreprésentation

Lorsque l’on sait que le pouvoir de représentation (voir lexique) a tendance à être détenu par les catégories privilégiées et à leur profiter, l’autoreprésentation de sujets marginalisés peut se comprendre comme une stratégie d’opposition, qui s’exprime par une «politique à la première personne du pluriel» ( Kie Ngi Ha). L’autoreprésentation donne aux individus ou aux groupes mal ou sous-représentés la possibilité et les moyens de présenter et de représenter leurs propres positions, et elle met un frein aux velléités de la majorité à parler au nom des autres.

Britishness

Le terme polysémique «Britishness» s’emploie pour désigner ce qui est typiquement britannique ou plutôt les codes qui évoquent une identité britannique. Comme toute attribution nationale, ce que l’on appelle «Britishness» est une construction discursive qui se constitue avant tout par contraste avec ce qui est perçu comme «non britannique». Dans un état historiquement constitué et actuellement tout sauf homogène comme la Grande-Bretagne, l’idée de «Britishness» acquiert une fonction politique. Pionnier des «études culturelles», Stuart Hall met en évidence un aspect souvent refoulé du «Britishness»: historiquement, ce concept est liée au racisme, tout comme le thé – le signe par excellence du «Britishness» – est lié au colonialisme: «It is in the sugar you stir; it is in the sinews of the famous British ‹sweet tooth›; it is in the tea-leaves at the bottom of the next ‹British› cuppa›» (Hall 2004, p.82).

Capitalisme cognitif

L’expression «capitalisme cognitif» a été forgée pour désigner les mutations subies par l’économie capitaliste depuis les années 1970, dont la régression de la production industrielle est la marque la plus sensible. Le travail immatériel représente une force de production décisive «qui crée ce que l’on appelle des produits immatériels, comme par exemple la connaissance, l’information, la communication, les relations ou encore les émotions.» (Hardt, Negri 2004, p.126). Le soi-disant «troisième secteur» des services, qui comprend la formation, l’art et la culture, est de plus en plus livré à l’exploitation commerciale. Dans le capitalisme cognitif, le travail matériel ou manuel ne perd pas de son importance, mais il est simplement délégué, selon un principe de division du travail international, à des régions et des ouvriers_ères défavorisé_e_s.

Champ

Un champ social, tel que l’a défini le sociologue Pierre Bourdieu, est une sphère de la vie sociale, comme par exemple le champ de l’économie, de la politique, de l’art, etc. Chaque champ possède ses propres logiques et règles du jeu qui d’une part font l’objet de négociations permanentes entre les agents actifs en son sein, et qui, d’autre part, limitent simultanément la marge de manœuvre et les possibilités de comportement de ces agents. Bourdieu appelle «illusio spécifique au champ» le consensus souvent implicite au sujet de ses règles et de la valeur de l’investissement dans ce champ, une «illusio» qui a pour effet que les agents du champ ne cessent de lutter pour une position ou certaines ressources dans l’espace social.

Codes ethnicisants

L’utilisation de certains signes produit des significations dans le discours et construit l’identité sociale, comme par exemple le sexe, le genre ou, justement, l’ethnicité. Les codes ethnicisants reprennent des attributions et des codifications stéréotypées, un répertoire tendanciellement raciste ainsi que certains types de représentations et de discours dramaturgiques. En ethnicisant la différence, l’on tend à légitimer et à postuler comme «naturelles» les divergences et les inégalités sociales.

Critique de la représentation

Un point de vue procède de la critique de la représentation lorsqu’il s’attache à évaluer les effets de pouvoir provoqués par une certaine représentation ou une certaine notion (par exemple, à propos de la restitution textuelle ou iconographique de travail de médiation). En réfléchissant à ce qui est montré ou justement à ce qui n’est pas montré, à comment et par qui c’est montré, on fait place à une critique qui permet surtout de voir quelle autre forme de représentation pourrait exister. En ce sens, une perspective procédant de la critique de la représentation a un caractère politique et examine les relations de pouvoir.

Culturalisation

L’on comprend par culturalisation la pratique qui voit dans la culture l’explication essentielle, centrale et déterminante des actions, des opinions, des attitudes, des conflits ou des modes d’expression des individus. Cette approche ethnicise souvent la notion de culture et réduit les personnes à leur – prétendue – «culture turque», par exemple. Les culturalisations renforcent la division de la société en deux groupes, ceux qui «en font partie» («nous») et ceux qui «n’en font pas partie» («les autres») et reproduisent les stéréotypes et les attributions. (Informations- und Dokumentationszentrum für Antirassismusarbeit Düsseldorf,  Glossar). La culturalisation, qui fait de la culture le «signifiant central» (Grimm, Ronneberger) d’une analyse des rapports sociaux, a de plus tendance à considérer les problèmes sociaux comme des problèmes culturels et à consolider l’inégalité sociale sous prétexte qu’il s’agit de différences culturelles.

Culture amateur

Cette expression légèrement péjorative de «culture amateur» (l’on trouve aussi «culture populaire») désigne une pratique culturelle multiforme qui se démarque volontiers de la «culture dominante» ou du monde de la culture. Chant choral, théâtre amateur ou musique populaire en sont les formes les plus courantes. La culture amateur est bien ancrée dans les structures de la société civile, elle est souvent non institutionnalisée, se finance elle-même ou bénéficie de subsides publics (régionaux ou communaux, rarement prélevés sur les budgets de la culture). Cette culture populaire est souvent soutenue par des associations et des initiatives bénévoles, mais aussi des universités populaires, des bibliothèques, des centres socioculturels ou des écoles d’art et de musique.

Déconstruction

«Le praticien de la déconstruction travaille à l’intérieur d’un système de notions, mais dans l’intention de le fracturer» (Culler 1988, p.95). La déconstruction peut être comprise comme un travail critique sur les puissantes contradictions d’un discours. Le philosophe Jacques Derrida décrit ainsi le geste déconstructif: «(reconnaître) que dans une opposition philosophique classique, nous n’avons pas affaire à la coexistence pacifique d’un vis-à-vis, mais à une hiérarchie violente. Un des deux termes commande l’autre (axiologiquement, logiquement, etc.), occupe la hauteur. Déconstruire l’opposition, c’est d’abord, à un moment donné, renverser la hiérarchie.» (Derrida 1972, pp.56–57) Afin de ne pas risquer de figer une signification, la pratique déconstructive reste en mouvement dans le but de déplacer les significations et non de les fixer.

Diversity Policy

L’on comprend par cette expression les règles de conduite et les lignes directrices établies par le musée en matière de «diversity», c’est-à-dire en matière de diversité sociale et «culturelle» à laquelle s’engage l’institution culturelle. L’on y trouve formulée la politique d’implication et de ciblage des individus ou des groupes considérés comme différents par le sexe, la race, la religion, la classe sociale, l’ethnie, etc. Comme le concept de «diversity» lui-même, le discours sur les «diversity policies» est en butte à de nombreuses critiques parce qu’il tend à célébrer la diversité et à taire sinon à occulter la discrimination.

Educational Turn in Curating

Tournant éducatif dans la pratique de l’exposition, en français. Cette expression contestée désigne l’intérêt porté depuis quelques années par le milieu des artistes et surtout celui des curateurs_trices, aux approches issues de la pédagogie critique et émancipatrice dans la tradition de Paulo Freire ou Ivan Illich ainsi qu’aux démarches issues d’une philosophie de l’éducation marquée par le post-structuralisme, comme la représente actuellement entre autres Jacques Rancière. Le rapport entre l’art et la pédagogie a cependant été pensé bien avant le «tournant éducatif» actuel. «La découverte récente, par les curateurs_trices et les spécialistes de l’art, d’un thème auparavant plutôt marginalisé a été précédée de quelque 200 ans de débats sur la philosophie de l’éducation et les pratiques de la formation esthétique. Il serait souhaitable de tenir compte de ces conceptions afin d’éviter de réinventer la roue ou de réduire la complexité des approches.» (Mörsch 2009)

Education artistique

L’expression et la notion ont été forgées au début du XXe siècle par le mouvement pédagogique de l’Education nouvelle. Adoptant une perspective de critique culturelle envers une modernité technocrate et rationaliste et envers l’instrumentalisation de l’éducation, elle visait à mettre sur pied une éducation holistique incluant la musique, l’art, la langue ainsi que le sport et le mouvement, matières qui furent par la suite peu à peu intégrées aux plans d’études scolaires. Dans les années 1950, juste après la Seconde Guerre mondiale, l’éducation artistique a connu un retentissement considérable du fait qu’elle était perçue comme conciliatoire et apolitique. Bien que le discours critique sur la pédagogie lui ait reproché d’être culturellement conservatrice et l’ait désavouée, cette notion continue de recueillir un certain succès dans les prises de position actuelles sur l’éducation culturelle.

Emancipation de soi

L’émancipation de soi (traduction de «self-empowerment», un concept issu des mouvements d’émancipation des femmes et des noirs américains) de groupes marginalisés ou minoritaires ou encore d’individus implique une redistribution du pouvoir de représentation, de définition et d’action, avant tout par la participation sociale, politique et culturelle. Le «self-empowerment» étant aujourd’hui aussi une stratégie très prisée de la gestion néolibérale pour, en un sens très peu émancipatoire, déléguer des responsabilités à des individus qui sont en réalité sans pouvoir, il est important de réfléchir aux aspects occultés du paternalisme (voir lexique) et de les critiquer.

Essentialisation ethnique

La notion d’ethnicité a été décrite par le sociologue et spécialiste de la culture Stuart Hall comme un concept dynamique – d’après lui, c’est «une conviction, une représentation, une forme de conscience ni naturelle ni éternelle, mais produite à un certain moment par les circonstances.» (Hall 1999) A l’inverse, l’essentialisme ethnique réduit les individus à l’ethnicité et aux attributions qui lui sont liées, qui, par ailleurs, sont pour la plupart des définitions imposées par une société majoritaire dominante.

Essentialisme stratégique

La philosophe du post-colonialisme Gayatri Chakravorty Spivak plaide en faveur de la tactique de l’«essentialisme stratégique», c’est-à-dire une tactique consistant, par calcul, à s’identifier à un groupe opprimé et à parler sur et pour lui, à le représenter, tout en étant conscient des pièges que peut contenir une telle représentation de remplacement. Par exemple parler à la place des «Roms» ou des «Musulmans» et prétendre à une identité stratégique et politique, en sachant que cette prétention est problématique. L’une des caractéristiques de l’essentialisme stratégique est qu’il rend visibles les pièges et le caractère problématique de l’identitaire.

Expat

Abréviation désinvolte du mot anglais «expatriate» (expatrié), ce terme est devenu l’appellation populaire des personnes vivant et travaillant en dehors de leur pays d’origine. Remarquons toutefois que seule est qualifiée d’expat la main-d’œuvre qualifiée et mobile, plutôt privilégiée, du «global business»; appellations stigmatisantes, les termes de «migrant_e», «étranger_ère» ou «travailleur_euse étranger_ère» restent réservés aux personnes socialement défavorisées qui pourtant sont tout aussi expatriées. Le fait que les expats préfèrent vivre dans des mondes parallèles, qu’ils restent entre eux et ne parlent presque jamais la langue de leur pays d’accueil, fait rarement débat jusqu’à présent.

Féminisé

Certains champs professionnels, comme le champ pédagogique justement, sont de toute évidence féminisés, c’est-à-dire qu’ils sont principalement occupés par des femmes. Sont caractérisés de féminins certains métiers particuliers du secteur des services qui font appel à des aptitudes sociales spécifiques. Tout comme que le secteur du travail non rémunéré (travaux domestiques, soins), extrêmement féminisé, les secteurs où les femmes sont surreprésentées sont souvent sous-payés. Néanmoins, en y regardant de plus près, cette féminisation apparaît comme très particulière, puisque plus la position et le salaire s’améliorent, plus elle diminue. Aussi convient-il, lorsqu’on parle de féminisation dans le domaine éducationnel, de garder présentes à l’esprit les inégalités existant entre les jardinières d’enfants et les rectrices d’université.

Fordisme et post-fordisme

Le fordisme désigne une phase de l’économie capitaliste, surtout basée sur la valeur ajoutée de l’industrie. Les moteurs essentiels de la croissance sont la production et la consommation de masse d’ouvriers_ères et d’employé_e_s assurés par l’Etat social. Ce modèle économique, influencé par les concepts du pionnier de l’industrie automobile Henry Ford dans les années 1920, a été remis en cause dans les années 1970 et remplacé par le post-fordisme.

Animé par le marché financier, ce système économique s’appuie surtout sur des technologies d’information et de communication requérant de nombreuses connaissances. Il se caractérise par une tendance à établir des conditions de travail individualisées et dérégulées qui, potentiellement, transforment tout le monde en entrepreneur_euse.

Gender gap

Si la graphie que nous utilisons volontairement dans cette publication pour indiquer le masculin et le féminin (avec un tiret bas: _trices) rend la lecture plus difficile, elle s’oppose à l’ordre binaire des sexes, fixé sur le masculin et le féminin. Le tiret bas crée un vide symbolique, que l’on peut aussi désigner par «gender gap» et qui renvoie aux variantes et identités sexuelles, au-delà des catégories homme/femme.

(Ceci au contraire de l’utilisation habituelle de l’expression «gender gap» qui indique, par exemple, la discrimination financière dont souffrent les femmes par rapport aux hommes dans des positions professionnelles comparables.) Il s’agit d’une graphie expérimentale, assez complexe en français car les suffixes de distinction du masculin et du féminin sont nombreux (teur_trice, eux_euse, ier_ière, eur_esse etc.) et les adjectifs et participes doivent être accordés, au contraire de l’allemand ou de l’anglais.

Gentrification

Il s’agit ici d’une notion de sociologie urbaine critique: elle renvoie au processus de revalorisation de certains quartiers anciennement négligés ou appauvris, un processus caractérisant la transformation néolibérale des métropoles dans un contexte de concurrence mondiale. Souvent accompagnée de conflits sociaux, la gentrification conduit à une mutation de la structure sociale de ces quartiers et à une éviction des populations non privilégiées. L’art et la culture ont souvent un rôle de pionniers dans cette gentrification, et ils participent parfois d’une stratégie d’implantation volontaire censée revaloriser ces nouvelles zones.

Globish

Le terme «globish», formé par la contraction de «global» et de «English», désigne un vocabulaire de base (de quelque 1500 mots) né dans la pratique et qui aurait la fonction d’un code commun pour une communication globale. Apparu dans la gestion économique transnationale, mais aussi établi dans les sciences et l’art, cet «anglais décaféiné» (Robert McCrum) est fortement contesté. L’on débat en effet pour savoir s’il s’agit d’une langue de domination ou d’une langue vernaculaire démocratique censée favoriser l’intercompréhension mondiale.

Habitus

Ce terme désigne les modes de pensée, de perception et de représentation par lesquels les individus organisent leurs actions dans la pratique. L’habitus incarne les normes acquises par la socialisation –inconscientes la plupart du temps – qui lient aussi bien des collectivités que des groupes professionnels, des générations que des classes sociales. L’habitus imprègne de façon très subtile la gestuelle, le langage ou la posture physique, et il n’est pas facile de le transformer ou de s’en débarrasser. Pierre Bourdieu, dans la sociologie duquel la notion d’habitus joue un rôle essentiel comme comportement spécifique à une classe sociale, le décrit comme «l’histoire faite corps».

Intervention

La notion d’intervention artistique a émergé dans les années 1980 pour désigner des travaux artistiques qui interviennent de façon décidée dans leur environnement social. Dans cette démarche, ils ont pour programme de transgresser les espaces accordés à l’art, et ils recherchent la confrontation avec l’«extérieur», avec le contexte local, avec les mouvements sociaux et politiques. L’art et l’activisme se rejoignent dans ces pratiques d’intervention et inventent ainsi des formes populaires d’action politique comme les célèbres perturbations, par les Guerilla Girls, d’un système de fonctionnement de l’art toujours aussi dominé par les hommes, ou encore les manifestations théâtrales de la Volxtheaterkarawane (Public­x-theatre Caravan) contre la politique européenne d’asile et des frontières.

Latitude d’interprétation

  Les travaux et les pratiques artistiques présentent – du moins potentiellement – une forte latitude d’interprétation, c’est-à-dire qu’ils restent ouverts à un processus en principe infini de définition de leur sens par les spectateurs_trices et les visiteurs_euses. Vu sous l’aspect relationnel ou social de l’art, leur sens se renouvelle constamment par l’activité des personnes qui en sont les réceptrices. Ce processus d’appropriation, de récupération ou de décalage renferme un potentiel essentiel pour une médiation artistique critique.

Naturalisation

  L’on parle de naturalisation lorsque des rapports ou des structures établis socialement sont présentés comme étant naturels. Ils passent donc ainsi pour donnés et immuables, puisque la nature – au contraire de la culture ou de l’histoire – est pensée comme telle. Qu’«à tout moment [soient] confondus dans le récit de notre actualité, Nature et Histoire», c’est ce qu’a formulé Roland Barthes dans «Mythologies» (Barthes 1957, p.6), démasquant ce processus comme une idéologie désireuse d’entraver toute modification des rapports sociaux. C’est pourquoi, les positions antiracistes, féministes ou postcoloniales se trouvent sans cesse occupées à critiquer les naturalisations.

L’orientation vers le public

S’orienter vers le public ou agir en conséquence constituent presque aujourd’hui des obligations d’importance stratégique, surtout pour les institutions culturelles. La tentative de penser l’institution à partir de ses visiteurs_euses et de leurs besoins peut obéir à différentes stratégies, par exemple, à une volonté de démocratisation ou à une optique de prestation de service. Que l’orientation vers le public augmente le nombre des visiteurs_euses fait en tout cas office de mantra dans le management culturel actuel.

Paternalisme

Le paternalisme désigne une stratégie extrêmement ambivalente de soutien, d’attention ou d’ingérence «d’en haut». A partir d’une position de pouvoir et de supériorité, il s’adresse à des sujets considérés comme «nécessiteux» et dont l’autonomie est contestée pour «leur propre bien». L’on retrouve les configurations classiques du paternalisme, qui est toujours «plein de bonnes intentions», dans les rapports parents-enfants, enseignants-élèves, riches-pauvres. L’attitude paternaliste, souvent subtile et dissimulée derrière certaines formes et rhétoriques de l’émancipation de soi, conduit à la consolidation des rapports de force. Une critique nuancée du paternalisme n’oubliera pas de rappeler la dimension de protection et d’attention qui lui est inhérente, et qu’une critique libérale de «l’Etat-providence» paternaliste voudrait voir disparaître.

People of Colour

Personnes de couleur, en français. L’expression «People of Colour» (l’on trouve aussi«Person of Colour») – souvent citée telle quelle dans sa langue d’origine – est le nom que se donnent diverses minorités non blanches. Elle correspond à une stratégie censée instaurer une solidarité politique et stratégique pour contre-attaquer le racisme, lorsque divers groupes sont montés les uns contre les autres. Jasmin Dean fait remarquer combien une telle politique d’alliances est importante pour les différentes «Communities of Colour», puisqu’elle leur permet de se réapproprier le pouvoir social de définition qui leur est dénié dans le débat sur le racisme, la migration et l’intégration, généralement dominé par une majorité blanche et allemande (Dean 2012, p.607).

Performativité

Depuis la fin des années 1980, la performativité est devenue un concept-clé de diverses disciplines comme les sciences linguistiques, sociales ou culturelles. Les théories de la performativité se fondent sur l’idée centrale que les ordres socio-symboliques (comme celui des sexes ou des espaces sociaux) ne sont pas donnés, mais représentés et fabriqués. Ce sont les théories scientifiques de la linguistique sur l’acte de langage et sur la réalisation de la langue par ses locuteurs_trices, donc sur sa réalisation/mise en scène (en anglais «to perform»), qui sont à l’origine du concept de performativité. Le défi de la réflexion performative est qu’elle ne considère pas comme «authentiques» ou «naturelles» les réalités recouvertes par ce qui est représenté ou fabriqué. C’est peut-être en cela que réside le caractère explosif de la performativité, qui se manifeste par exemple dans la théorie du genre élaborée par Judith Butler.

Plus-value symbolique

En supposant qu’outre le capital économique, il existe d’autres ressources (voir lexiques: Types de capital) qui comptent sur le marché, il est possible de réaliser un bénéfice symbolique. Lorsque, par exemple, un musée peut se mettre en valeur comme une institution particulièrement progressiste en invitant un projet de médiation critique, il peut en tirer un profit symbolique susceptible même parfois de se monnayer économiquement (par un supplément de subvention publique ou privée destinée aux musées engagés, etc.).

Pouvoir de blesser

Pour analyser les rapports pédagogiques, la théoricienne Maria do Mar Castro Varela recourt à la notion de «pouvoir de blesser»: elle affirme que plus la position d’une personne est privilégiée, plus son pouvoir de blesser augmente. Cette situation a parfois pour conséquence de réduire ses vis-à-vis à l’impuissance, car ils ont le sentiment de ne pouvoir satisfaire personne et de se heurter à une réprobation continuelle. Au lieu de cela, elle revendique l’autoréflexion et l’autocritique individuelles (mais aussi institutionnelles). «Comme le travail pédagogique est saturé de pouvoir et risque toujours de blesser les autres, il est donc nécessaire de développer ses différentes sensibilités, d’aiguiser sa propre perception et de développer une distance critique envers le système auquel l’on doit ses privilèges.» (Castro Varela 2004)

Précaire

Avoir un travail précaire signifie exercer une activité dérégulée, avec peu de (ou sans) sécurité sociale, donc indépendante et non pas salariée, souvent caractérisée par l’insécurité et le sous-paiement, mais aussi par la liberté ou l’autodétermination. Dans certains secteurs (arts, médias, nettoyage, soins) le travail précaire constitue la norme.

Précarisation

Le mot «précarisation» désigne la fragilisation des conditions de travail et de vie qui résultent de la transformation néolibérale de l’économie et de la société ainsi que du → capitalisme cognitif. L’activité professionnelle est de plus en plus déréglementée, les emplois fixes sont remplacés par des mandats et des contrats à durée déterminée, entraînant de graves conséquences individuelles et sociales, surtout pour les non-privilégiés (par exemple les migrant_e_s du travail dans les domaines de la construction ou de la santé), mais aussi pour des employé_e_s privilégié_e_s (comme par exemple les personnes actives dans la culture ou encore les scientifiques). Ce travail précaire comporte aussi des moments d’autodétermination et d’autoréalisation qui d’une part renforcent l’(auto)exploitation, mais d’autre part recèlent un certain potentiel de rébellion, comme Isabell Lorey l’a analysé dans son livre «Die Regierung der Prekären» [le règne des précaires] (Lorey 2012).

Racisme quotidien et racisme structurel

Alors que le racisme quotidien désigne les actes individuels de racisme, intentionnels ou non, auxquels les personnes minorisées sont confrontées en permanence, le racisme structurel doit se comprendre comme une pratique supra-individuelle. On entend par là les racismes qui émanent des systèmes sociaux et se manifestent dans leurs logiques, leur économie, leurs normes et leurs lois. Les discriminations inhérentes au système électoral, au marché du travail, à l’ordre juridique, à la vie des entreprises sont les effets du racisme structurel. Une constatation vaut pour le racisme quotidien autant que pour le racisme structurel: il ne s’agit pas simplement de préjugés individuels, mais de la légitimation des hiérarchies sociales, fondées sur la discrimination de ce genre de constructions de groupes. Dans ce sens, le racisme reflète toujours une situation sociale (Rommelspacher 2006).

Recherche-action

Cette approche rattachée au domaine des sciences sociales est internationalement reconnue – dans l’espace anglo-saxon, mais aussi dans l’espace francophone ou en Amérique latine et, de plus en plus, dans l’espace germanophone. La recherche-action se distingue par son caractère engagé; c’est une recherche qui intervient dans la réalité sociale qu’elle étudie et qui interroge la frontière qui sépare les chercheurs des «sujets de l’analyse», et la recherche de son objet. A cet effet, des méthodes et des stratégies de recherche-action participative (RAP) ont été développées dès les années 1960. Elles recourent à l’exploration, par des acteurs professionnels, seuls ou en équipes, de questions qui surgissent dans le quotidien professionnel, en vue de résoudre certains problèmes ou d’opérer certaines transformations. La caractéristique de cette approche est qu’elle revalorise le savoir des personnes qui agissent dans la pratique, par rapport à un savoir d’«expertes et experts» qui est généré sans lien avec la pratique (Landkammer 2012, p.200).

Représentation

Deux significations viennent à l’esprit lorsque l’on parle de «représentation»: montrer et suppléer à. Ces deux significations sont inséparables. L’on parle de représentation lorsqu’il y a production de sens au moyen d’un langage, c’est-à-dire d’un système de signes dont l’usage est réglé par des codes. Le processus de la représentation est une pratique sociale qui – en utilisant le média de la langue (système de signes général) – est essentielle pour la production et la circulation du sens.

Chaque représentation tente de fixer les différentes significations des signes, des images, etc. et d’en privilégier une. Il en résulte une «lutte pour les rapports de représentation» (Stewart Hall), centrée autour de questions décisives comme qu’est-ce qui est montré et qu’est-ce qui ne l’est pas? Qui représente qui et de quelle façon? Et qui n’est pas autorisé à représenter (ni soi-même, ni les autres)?

Société majoritaire

Contrairement à ce que pourraient laisser entendre les mots, l’expression «société majoritaire» ne désigne pas forcément un groupe quantitativement supérieur, mais plutôt un groupe socialement dominant et privilégié qui incarne la norme sociale (par exemple, blanc, occidental, hétérosexuel, séculier, etc.) et détermine qui doit être considéré comme minoritaire. Majorité et minorité ne décrivent donc pas un rapport chiffré, mais un rapport de pouvoir. Pour faire ressortir cet aspect de pouvoir, on propose de remplacer l’expression «société majoritaire» par «société dominante».

Société migratoire

«Les conséquences de l’immigration et de l’émigration, des migrations pendulaires et des transmigrations sont constitutives de notre réalité sociale. [...] La migration exerce une telle influence sur notre réalité sociale que l’expression «société migratoire» en devient tout à fait appropriée. Et on parle bien de «société migratoire» et non d’une «société d’immigration», car la notion de migration est ici plus large que celle d’immigration et recouvre un large éventail de phénomènes de déplacement de population.» (Broden, Mecheril 2007, p.7)

Soft skills

Au contraire des connaissances et du savoir-faire techniques «durs», les «soft skills» (compétences douces) sont plus difficilement saisissables, mais de plus en plus exigées dans les domaines économique et social. Il s’agit de compétences de communication ou de compétences sociales telles que l’empathie, l’esprit d’équipe, la loyauté et de qualités personnelles comme l’amabilité, la confiance en soi ou l’ambition. Ces compétences douces, ressortissant souvent au domaine privé et à la féminité, prennent une importance nouvelle dans le monde (du travail) post-industriel parce qu’elles peuvent être exploitées en faveur d’importants processus ou du réseautage.

SoHo-effect

L’expression «SoHo-effect», largement utilisée aujourd’hui en urbanisme, désigne le phénomène de gentrification d’un quartier. Il est déclenché par l’installation d’artistes et de «créatifs» et aboutit, par la revalorisation qui s’ensuit, à l’éviction des habitant_e_s socialement et économiquement défavorisé_e_s de ce quartier. L’expression fait référence à la transformation du quartier SoHo de New-York. Dans les années 1980, des artistes à la recherche de logements bon marché s’y sont installé_e_s, attirant l’attention des promoteurs immobiliers et des urbanistes. Aujourd’hui, SoHo est l’un des quartiers les plus chers de New-York. L’implantation de l’«industrie créative» dans certains quartiers est entre-temps devenue une stratégie urbanistique.

Système

Une notion systémique de l’art – qui se différencie d’une notion ontologique ou idéaliste – englobe tout ce qui émerge dans le système de l’art, ce qui est fait comme art, est nommé «art» ou est perçu comme de l’art, et aussi ce qui se produit ou est écrit au sujet de l’art. Ainsi, au-delà du concept statique de l’œuvre et de son auteur_trice, de multiples phénomènes et pratiques font partie du système de l’art. Il faut de plus savoir que l’accès à ce système n’est pas indifférencié, mais il est au contraire règlementé par des communautés de définition, c’est-à-dire des acteurs qui débattent de ce qui a le droit, ou non, d’être intégré au système de l’art, et à quel moment.

Théâtre post-dramatique

Le théâtre post-dramatique s’est émancipé du drame, c’est-à-dire de l’obligation de mettre en scène un projet dramatique, un texte littéraire, une «pièce». En lieu et place, c’est la théâtralité elle-même qui occupe le centre de l’intérêt, qui se réalise dans le rapport entre espace, jeu et public. La représentation ne se focalise plus sur le texte, mais sur le théâtre et son appareil. L’expression, forgée par le théâtrologue Hans-Thies Lehmann, permet diverses interprétations et appropriations avec pour conséquence que même le théâtre basé sur un texte (mais peut-être pas au sens classique d’un texte structuré sur un drame) peut être considéré comme post-dramatique.

Travailleurs_euses du savoir

Dans une société post-industrielle dont l’économie se base sur l’information, la communication et la technologie, le savoir est une force de production décisive. L’on exige des travailleurs_euses du savoir, surtout employé_e_s dans ce qu’on appelle le secteur tertiaire des services, qu’ils et elles restent innovants et informé_e_s, capables de réagir aux impératifs du marché mondial avec flexibilité et d’utiliser leur savoir comme une ressource, savoir qu’il leur appartient de maintenir à jour et d’étendre. La créativité devient l’une des compétences clés de ces travailleurs_euses productifs_ves du savoir.

Types de capital

Le sociologue Pierre Bourdieu distingue divers types de capital qui définissent les différentes ressources introduites par les agents dans l’espace social: capital économique, social ou culturel. Si le premier renvoie à la fortune matérielle (biens, argent), les deux autres renvoient à des ressources immatérielles: le capital social renvoie à la fortune que représentent les alliances et les relations (réseau) et le capital culturel à la fortune que représentent le fait d’être cultivé et l’éducation (formation, titre). L’interaction complexe entre ces différents types de capital aboutit au capital symbolique (prestige, privilèges et prérogatives) sur lequel peut compter toute personne au sein de l’espace social.

Visual Literacy

La «visual literacy» ou littératie visuelle désigne une formation ou une compétence de base acquise dans le champ visuel (Sigrid Schade, Silke Wenk), à savoir la capacité de lire les images, qui, contrairement aux idées reçues, ne sont pas immédiatement compréhensibles. La littératie visuelle permet de contextualiser les images et de déchiffrer les représentations (voir lexique) ou les processus de fabrication et de diffusion dans lesquels elles s’insèrent.

La sensibilisation à la littératie visuelle peut donc contribuer à ce qu’il soit fait un usage responsable et critique de tout matériel visuel. La manière dont doit être définie comment définir cette compétence devrait faire l’objet de réflexions et de concertations renouvelées, puisqu’il ne s’agit pas ici d’une qualité objective, mais d’une construction sociale reflétant des rapports de pouvoir. Une médiation artistique (auto)critique remet par conséquent en question toute notion normative de la littératie visuelle.

weiss

weiss (blanc, en français plutôt «l’être blanc»): cette façon d’écrire le mot est proposée par la  recherche critique sur «l’être blanc», qui cherche à provoquer une prise de conscience, au niveau de la langue écrite, de la puissante neutralité et normalité de «l’être blanc» et se propose de les contrecarrer. weiss, écrit consciemment en minuscules et en italique, désigne ainsi une position privilégiée au sein d’une société dans laquelle l’accès aux ressources est compliqué ou au contraire facilité en fonction de la pigmentation de la peau et de la physionomie – donc au sein d’un ordre «racialisé» (Dean 2012). NOIR, écrit en caractères normaux et en majuscules, désigne une position marginalisée et donc «racialisée». Dans les deux cas, le marquage typographique a pour objectif de signaler le caractère construit de ces puissantes catégories et de gêner consciemment le flux naturel du texte.